Un monde sépare les Pu Er récemment dégustés de ce vrac de plus d'un demi siècle.
Je prépare l'infusion de façon très classique et sans me poser de questions sur le dosage, la température ou la durée des infusions. Pour faire court : 5g en Yixing de 14cl, un rinçage, et c'est parti pour un voyage dans le temps ! Bien enfoncé dans le canapé de ma location de Chamonix, la vue sur l'aiguille du Midi et le soleil baignant de lumière le studio participent de la magie.
Car c'est bien de magie dont il faut parler quant le nez plongé dans la théière des notes de noix sèche, de cave, de grotte, de champignon surgissent. Non pas que ce soit inattendu ou surprenant pour un Pu Er, ces parfums n'en sont pas moins troublants par la façon dont ils se présentent. J'hésite à me dire "curieux ?" ou "incroyable !", ce sont en fait des fragrances qui me sont familières sur des Pu Er vieux mais celles-ci sont plus marquées et plus fondues qu'à l'accoutumée. La couleur de l'infusion est celle d'un vin du même âge : tuilée, pelure d'oignon, comme l'était celle de ce Volnay 52 bu récemment... En bouche, la liqueur est fine, douce et la noix encore bien présente. Je n'hésite pas à pousser les infusions mais je me dis qu'une eau moins douce que celle de la Brita lui aurait été bénéfique. Histoire de donner du relief, à l'image de ce que je vois dehors.
La tête dans les nuages je reviens à ma théière et soulève le couvercle encore fumant : nom de Dieu regarde moi la taille de cette feuille ! Je n'en reviens pas ! quel engin !
Au milieu d'un amas de feuilles à l'aspect carbonisées, cette feuille se pâme. Seule, solaire, grandiose ! Je pousse l'investigation plus loin et parmi les morceaux de noirâtres choses qui entourent la solitaire, une autre singularité : une feuilles n'est pas mouillée ! La rareté, la diablerie ! Jamais vu ça... C'est quoi ce thé ?? Entre la feuille style tranche de Madrange et les bandelettes de ramsès II, voilà maintenant le thé déperlant traité 3M... On
rêve.
L'après midi s'achève doucement, j'allume un cigare et retourne jeter un oeil sur le dôme du goûter, l'arrête des bosses et enfin le Mont-Blanc, étrangement petit vu d'ici. C'était bien.
4 commentaires:
Je reconnais bien la petite théière brune que tu as mis en photo à droite... Elle m'a souvent été proposée à la M3T, notamment pour déguster les galettes prestigieuses ! Je me souviens que les infusions étaient remarquables avec ce petit bijou.
Apparemment ton vrac 1955 transporte celui qui le déguste bien plus haut que les 4807 m du Mont-Blanc; c'est peut-être pour cela qu'il te semble bien petit !!
Oui Philippe c'est bien celle là !
Moi aussi j'ai de nombreux bons souvenirs de dégustations en sa compagnie. Je lui rends un peu hommage. D'ailleurs il y a depuis peu une nouvelle Yixing dédiée aux Pu Er qui tourne à la Maison des 3 thés.
Le vrac 55 n'est pas pour une consommation quotidienne comme tu t'en doutes, mais se pencher sur des thés de cet âge, c'est voyager un peu... Avec tous les Pu Er de 3/4 ans qui apparaissent j'ai encore du mal à m'ennivrer, un peu comme Gabin et Belmondo dans "Un singe en hiver" :
-Matelot Hénault Lucien, veuillez armer la jonque, on appareille dans cinq minutes.
- C'est parti
- Albert, je vous en prie, vous n'allez pas encore tout me saloper comme la dernière fois.
- Madame, le droit de navigation sur le Yang Tse Kiang nous est formellement reconnu par la convention du 3 août 1885. Contesteriez-vous ce fait ?
- Je ne conteste rien. Je vous demande simplement de ne pas tout me casser comme l'autre jour.
- Oh... mais pardon ! L'autre jour, les hommes de Chung Yang Tsen ont voulu jouer au con. Heureusement que j'ai brisé la révolte dans l'oeuf, sans barbarie inutile, il est vrai. On n'a coupé que les mauvaises têtes ; le matelot Hénault peut témoigner.
- Sur l'honneur.
- Bon. Nous allons donc poursuivre notre mission civilisatrice. Et d'abord, j'vais vous donner les dernières instructions de l'Amiral Guépratte, rectifiées par le Quartier-Maître Quentin ici présent. Voilà : l'intention de l'Amiral serait que nous perçions un canal souterrain qui relierait le Wang-Ho au Yang-Tse-Kiang.
- Le Yang Tse Kiang... bon...
- Je ne vous apprendrais rien en vous rappelant que Wang Ho veut dire fleuve jaune et Yang Tse Kiang fleuve bleu. Je ne sais si vous vous rendez-compte de l'aspect grandiose du mélange : un fleuve vert, vert comme les forêts comme l'espérance. Matelot Hénault, nous allons repeindre l'Asie, lui donner une couleur tendre. Nous allons installer le printemps dans ce pays de merde !
- Bon... Je vois qu'vous êtes raisonnables, j'vous laisse... J'ai des clients à servir, moi.
- Eh ! Dites donc, l'Indigène ! Un peu d'tact, hein !... Parlons d'autre chose !... Parce qu'on les connaît, vos clients ! La Wermacht polissonne et l'Feldwebel escaladeur !... Hein !... Et puis merde, j'vous raconterais plus rien, là !
- Chut, Albert ! Vous fâchez pas !
- Mais vous fâchez pas, vous fâchez pas ! Mais, nom de Dieu d'bordel, j'vous offre des rivières tricolores, des montagnes de fleurs et des temples sacrés et vous m'transformez tout ça en maison d'passe !... Vous plantez votre Babylone normande dans ma Mer de Chine !... Alors !... Matelot Esnault !
- Oui, Chef !
- On va brûler l'village !... Où sont les grenades, que j'les dégoupillent !...
- Monsieur Quentin !... Calmez-vous !... Je vous demande pardon !...
- Une reddition ?... Soit !... La main d'fer dans l'gant d'velours !... Matelot, à vos pagaies !
- Oui, Chef !
- Attention aux roches !... Et surtout, attention aux mirages !... Le Yang-Tsé-Kiang n'est pas un fleuve, c'est une avenue... Une avenue d'cinq mille kilomètres qui dégringole du Tibet pour finir dans la Mer Jaune, avec des jonques et puis des sampans d'chaque côté... Pis au milieu y'a des... des tourbillons d'îles flottantes, avec des orchidées hautes comme des arbres... Le Yang-Tsé-Kiang, camarade, c'est des millions de mètres cubes d'or et d'fleurs qui descendent vers Nankin... Et avec, tout l'long, des villes-pontons où on peut tout acheter... De l'alcool de riz, d'la religion, et pis des garces, d'l'opium... Ch'peux vous affirmer, Tenancière, que le fusilier-marin a été longtemps l'élément décoratif des maisons d'thé... dans c'temps-là, on savait rire... ì Elle s'était mise sur la paille / Pour un maquereau roux et rose / C'était un juif, il sentait l'ail / Il l'avait, venant de Formose / Tirée d'un bordel de Shangaï. î
- Oh, c'est beau !...
- C'est pas d'moi !... C'est des vapes, comme ça, qu'y m'reviennent... quand j'descends l'fleuve...
Le fleuve je commence doucement à le descendre avec des galettes que j'aurais jugées imbuvables il y a encore un an : ce matin dégustation comparative de la 1998 et la 1999 et... c'était bon ! Il y a d'ailleurs une sacrée différence entre ces deux là...
Ohlala fallait pas le titiller la-dessus !
Là, on est bien parti pour avoir la recette du chou farci dans le prochain post !
Very nice ppost
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